Tucson, Arizona.
Le pic rocailleux du mont Lemmon, s’élevant de la chaîne Santa Catalina, fut visible depuis le hublot d’Austin lorsque le jet exécuta son approche de l’aéroport international de Tucson. L’atterrissage se fit en douceur et, quelques minutes plus tard, en compagnie de Zavala, il mit sur son épaule son sac marin et sortit de l’aéroport sous le dur soleil d’Arizona. Ils cherchèrent leur chauffeur. Une vieille Ford F-150 poussiéreuse klaxonna et s’approcha du trottoir. Austin entra par la portière côté passager et ouvrit de grands yeux. Au volant se trouvait la dernière personne qu’il s’attendait à voir. Nina Kirov.
Nina avait échangé le tailleur chic qu’elle portait lors de la réunion de la NUMA contre un short marron et un chemisier bleu pâle.
— Puis-je vous emmener quelque part, les gars ? demanda-t-elle en prenant l’accent traînant du Sud. Je ne vous ai jamais rendu cette super balade en scooter des mers.
Austin éclata de rire, un peu pour cacher son étonnement.
— Je pourrais dire que nous devrions cesser de nous rencontrer comme ça, mais je ne le penserais pas. Zavala fut stupéfait lorsqu’il vit à qui Austin parlait.
— Salut, Joe, dit Nina. Si Kurt et vous voulez bien mettre vos sacs à l’arrière, on va pouvoir y aller.
Tandis qu’ils s’exécutaient, Zavala murmura avec une évidente admiration :
— Comment as-tu réussi ce coup-là ?
Austin grogna quelque chose sans se compromettre et adressa un clin d’œil entendu à son ami. Ils entrèrent dans la voiture qui se glissa dans la circulation en quittant l’aéroport. Ils tournèrent sur Tucson Boulevard en direction du nord.
— Je devrais tout de même vous expliquer deux ou trois choses, dit Nina. J’ai vraiment une nouvelle mission. Je vais travailler avec votre équipe et vous sur ce projet.
— C’est une agréable surprise. Je me demande seulement pourquoi vous n’en avez rien dit lorsque nous nous sommes vus à Washington.
— L’amiral Sandecker m’avait demandé de ne rien dire. Zavala eut un petit rire.
— Bienvenue dans le monde singulier et farfelu de la NUMA.
— Il a dit que vous aviez été un peu en dehors du coup pendant un moment, poursuivit Nina. Il tenait à vous mettre au courant de ce qui se passait petit à petit. Il voulait aussi vous savoir concentrés pour la réunion et craignait que vous ne soyez... euh ! distraits si vous appreniez que j’allais travailler avec vous.
Austin secoua la tête. On pouvait toujours compter sur Sandecker pour faire ce qu’on n’attendait pas de lui.
— Il a raison, j’aurais été totalement distrait. Elle sourit.
— Il avait besoin d’une archéologue pour que le projet ait l’air vrai. Il m’a demandé si je voulais bien l’aider. J’ai dit oui, bien sûr, c’était la moindre des choses. (Sa voix se durcit.) Je veux attraper ces gens quels qu’ils soient.
— Je comprends ce que vous ressentez, Nina, mais nous ne savons pas à qui nous avons affaire. Cela pourrait être dangereux.
— J’ai réfléchi à tout cela. Et l’amiral m’a laissé tout loisir de refuser.
— Je vous prie de ne pas prendre mal ce que je vais vous dire, mais n’avez-vous pas pensé une seconde que c’est justement pour cela que l’amiral vous a demandé de participer au projet plutôt que pour votre expertise technique ?
Nina le considéra de ses yeux gris et sérieux.
— Il ne me l’a pas caché une seconde.
— Alors vous savez que vous allez servir d’appât ?
— C’est la raison principale de ma présence ici, confirma-t-elle. Essayer d’attirer les gens qui ont tué le Dr Knox, Sandy et les autres.
Je veux qu’on les livre à la justice à n’importe quel prix. De plus, il n’est pas du tout certain que je les intéresse encore. Je suis retournée à Cambridge et j’y suis restée plusieurs semaines. Ce que j’ai rencontré de plus dangereux, c’est la circulation d’Harvard Square. Aucun bonhomme vêtu de noir n’est jamais sorti d’un placard, je n’ai pas eu de gardes du corps et je suis toujours en vie.
Austin décida de ne pas dire à Nina que les gardes du corps qu’ils avaient engagés pour jeter un coup d’œil sur elle étaient encore dans le coin. Elle ne les avait pas vus, c’est tout. On ne pouvait se tromper sur la moue têtue et volontaire de la jeune femme. Elle était bien décidée à aller jusqu’au bout de cette affaire.
— Mon ton paternel et sévère pourrait suggérer le contraire, mais je suis très heureux de vous voir.
La mine renfrognée qu’avait montrée Nina pendant le sermon d’Austin fit place à un sourire.
Peu après ils tournèrent dans Pioneer Parkway pour aller vers Oracle Junction. Les résidences firent bientôt place au désert et aux cactus. Zavala, qui avait écouté sans rien dire, savait que l’esprit d’Austin fonctionnait sur deux plans, ses inquiétudes professionnelles et les autres, plus personnelles. Par son héritage latin, Joe était un grand romantique, mais il savait que Sandecker avait raison de craindre de possibles distractions. Il profita d’un silence pour lancer la discussion dans une direction plus pratique.
— Maintenant que ce sujet est réglé, nous pourrions peut-être discuter de la façon de les arnaquer.
— Merci de me le rappeler, dit Austin. Rudi nous a briefé mais il vaut mieux tout revoir en détail au cas où il aurait oublié quelque chose.
— Je vais vous dire ce que je sais, dit Nina. Quand nous avons commencé à parler, il est vite devenu apparent que les obstacles pour mettre au point un plan élaboré en si peu de temps étaient importants.
— Je ne vois pas pourquoi, dit Austin. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un site archéologique prometteur, une fausse expédition qui ait l’air crédible, des gens sur lesquels on puisse compter pour creuser, un objet d’art extraordinaire à découvrir et un moyen de faire connaître notre trouvaille à nos amis comme à nos ennemis.
— Voilà qui résume tout. En somme, c’est comme mettre au point une production pour Broadway, dit Nina. Sauf qu’on ne jouera pas sur une scène et qu’on n’aura ni acteurs ni scénario. L’amiral a confié au commandant Gunn l’organisation des attractions. Il a suggéré que nous prenions la suite d’une expédition qui aurait déjà eu lieu. Mais ceci risque de présenter un autre genre de difficulté.
— En effet, dit Austin. Il faudrait se couler dans une fouille légitime. Dire « on prend la suite, mais oh ! à propos, nous souhaitons enterrer une fausse ouvre d’art parce que nous voulons attirer une bande d’assassins armés ». Oui, ça pourrait en effet poser un problème.
— Un gros problème. Alors le commandant nous a proposé quelque chose qui est un vrai trait de génie.
— C’est souvent le cas avec lui, dit Austin.
— Son idée est de construire une légende. Les Romains d’Arizona.
— Ça ressemble au nom d’une équipe de football, ricana Zavala.
— Peut-être, mais ce n’est pas le cas. En 1924, près d’un vieux four d’adobe[18] au relais de diligence de Nine Mile Hole, des gens ont déterré ce qui ressemblait à une croix religieuse en plomb, pesant trente kilos. Ils ont pensé qu’elle avait peut-être été laissée là par des missionnaires jésuites ou des conquistadores espagnols. La croix était incrustée de caliche[19], une croûte dure de carbonate de calcium. Quand ils ont enlevé la concrétion, ils ont trouvé deux croix attachées l’une à l’autre par des rivets de cuivre. Et il y avait une inscription sur le métal.
— « Zorro est passé par ici ? » proposa Zavala.
— Sauf que ce Zorro-là a écrit en latin. L’université d’Arizona a traduit l’inscription qui racontait une histoire incroyable. Comment, en 775, sept cents hommes et femmes conduits par Theodorus le Renommé sont venus de Rome par la mer, où les orages de l’océan les ont menés à cet endroit. Là, ils ont abandonné leurs bateaux et sont partis vers le nord, à pied, jusqu’à ce qu’ils atteignent un désert chaud. Ils y ont construit une ville qu’ils ont baptisée Terra Calabus, qui a prospéré jusqu’à ce que les Indiens, qui avaient été réduits en esclavage, se révoltent et tuent Theodorus. La cité fut reconstruite, mais les Indiens se révoltèrent encore. Le plus ancien des Romains, un nommé Jacobus, fit inscrire cette inscription sur la croix.
— Les Romains avaient des navires assez gros et tout à fait capables de traverser les mers pour faire un tel voyage, dit Austin, mais tout ceci a l’air de sortir d’un magazine à sensation. Style Conan le Barbare.
— Ou Amalric, l’homme-dieu de Thoorana, ajouta Zavala.
— D’accord, vous deux, dit Nina en feignant d’être fâchée. C’est une histoire sérieuse. Comme en témoigne si éloquemment votre réaction, l’histoire va faire rigoler les sceptiques, ce qui a été le cas à l’époque. Mais ils ont changé d’avis quand une tête romaine gravée dans le métal a été trouvée près du site de la croix, elle aussi couverte de caliche. Un archéologue de l’université a alors organisé une fouille. Ils ont trouvé d’autres croix, neuf sabres anciens et un labarum, un étendard impérial romain. Certaines personnes se mirent à y croire, d’autres prétendirent que les objets avaient été laissés là par les Mormons.
— Ils auraient fait tout le chemin depuis l’Utah pour enterrer ces objets ? s’étonna Austin. Nina haussa les épaules.
— La controverse fut mondiale. Certains experts prétendirent que la profondeur des objets et la croûte de caliche prouvaient qu’ils n’avaient pas pu être un canular, sauf si ce canular avait été perpétré avant Christophe Colomb. Les sceptiques ont prétendu que les phrases écrites ressemblaient à celles des livres de grammaire latine. Quelqu’un a dit que les objets auraient pu être laissés par un exilé politique à l’époque de Maximilien, que Napoléon avait mis sur le trône du Mexique.
— Que sont devenus les objets ?
— L’université a décrété que le projet était devenu trop commercial. Depuis, on les a mis dans une banque. Il n’y avait pas d’argent pour continuer les fouilles.
— Je crois que j’ai une petite idée de ce que nous allons faire de tout ceci, dit Austin. Après tout ce temps, on a pu trouver l’argent nécessaire à la reprise des fouilles. Et à mon avis, on va le trouver dans le budget de la NUMA.
— Ouais, ouais. Nous prétendons que l’expédition est financée par un riche banquier qui tient à garder l’anonymat. Cette personne aurait été fascinée depuis son enfance par cette histoire et voudrait faire éclaircir ce mystère une fois pour toutes. Les relevés des magnétomètres indiquent d’intéressantes possibilités dans un ranch abandonné près du site d’excavation. Alors nous creuserons là et nous trouverons une relique romaine.
— Tu parles d’une histoire, dit Zavala. Vous pensez que quelqu’un va la gober ?
— Nous en sommes sûrs. Les journaux et les stations de télé ont déjà publié des articles qui ont aidé à nous donner une bonne crédibilité. Quand nous avons contacté Time-Quest, ils étaient au courant du projet et impatients de nous aider.
— Ils vous ont donné de l’argent ? demanda Austin.
— Nous n’en avons pas demandé. Ce sont des volontaires qu’il nous fallait. Ils en ont envoyé deux. En échange, ils ont demandé comme c’est leur habitude d’être mis au courant avant la presse de tout ce que nous pourrions trouver d’inhabituel. Ce que nous avons déjà fait.
Austin pensait au futur.
— Avec toute cette publicité, il va être assez difficile de faire disparaître l’expédition de la face du monde.
— L’amiral a parlé de ça. Il pense que la nature publique des fouilles découragera toute tentative d’assassinat. Ils essaieront de voler ou de détruire la relique.
— Ils ne viendront peut-être pas avec des mitraillettes, mais je ne conseillerais à personne de se mettre sur leur chemin si c’est le cas, dit Zavala.
— Quand avez-vous parlé de la relique à Time-Quest ? demanda .
Austin.
— Il y a trois jours. Ils nous ont demandé de n’en parler à personne pendant soixante-douze heures.
— Ce qui signifie qu’ils devraient agir ce soir.
Nina leur parla de l’excavation. Elle était l’archéologue du projet. Les performances sous-marines des membres de la NUMA avaient été un peu trafiquées pour leur donner des références plus orientées vers la recherche terrestre. Trout avait enfilé sans peine la casquette d’un géologue. Austin serait vaguement engagé comme ingénieur, Zavala comme métallurgiste.
La camionnette poursuivait son ascension vers le haut pays désertique aux alentours de Tucson. Ils quittèrent l’autoroute en fin d’après-midi et prirent une route en terre battue bordée de buissons de mesquites, de chulos et de cactus. Ils s’arrêtèrent près de deux Winnebago RV[20] et d’autres véhicules, serrés près d’un écroulement de briques d’adobe. Austin descendit et jeta un coup d’œil aux lieux.
De vieux murs de pierre définissaient vaguement le ranch abandonné. Les rayons du soleil de cette fin d’après-midi, filtrant derrière une masse de nuages, donnaient au désert une teinte cuivrée.
La silhouette dégingandée de Trout s’approchait, la main tendue. Il portait une sorte de pantalon de treillis kaki paraissant provenir d’un surplus de l’armée, une chemise de tissu noir finement rayé de blanc, boutonnée jusqu’en bas, et un noeud papillon Paisley[21] plus petit et un peu moins flamboyant que ceux qu’il arborait d’habitude. La seule concession à la nature salissante des fouilles archéologiques était ses bottes de travail, bien que le cuir parût en avoir été récemment passé au chiffon de laine.
— Je suis arrivé de Washington ce matin avec Nina, expliqua-t-il. Venez, je vais vous faire visiter.
Il les mena derrière les ruines de la vieille hacienda où un carré de terre avait été jalonné en grille. Un couple plus âgé travaillait sur un tamis de bois et de fil de fer. L’homme lançait des pelletées de terre dans le tamis que la femme secouait pour chercher des objets que retenait le fond de grillage métallique. Elle les plaçait ensuite dans des sacs en plastique. Trout fit les présentations. George et Harriet Wingate formaient un couple charmant d’environ soixante-dix ans, mais doué de la forme et de l’énergie de personnes bien plus jeunes. Ils venaient de Washington, expliquèrent-ils.
— Je veux dire de l’État de Washington, corrigea Mme Wingate avec un sourire fier.
— Spokane, précisa son mari, un homme grand à la barbe et aux cheveux argentés.
— Jolie ville, dit Austin.
— Merci, répondit le mari. Merci aussi d’être venus nous donner un coup de main. Les fouilles archéologiques sont un peu plus fatigantes que dix-huit trous au golf. J’ai du mal à réaliser que nous avons payé pour faire ce boulot !
— Non, mais écoutez-le ! Il n’aurait laissé passer une pareille occasion pour rien au monde. George, parle-leur un peu du chapeau d’Indien Jones que tu veux acheter.
Son mari montra le soleil.
— C’est Indiana Jones, chérie. Comme l’État d’Indiana. Et c’est juste pour éviter une insolation, ajouta-t-il avec un sourire que ses moustaches blanches broussailleuses cachaient presque.
Après un échange de plaisanteries, on conduisit les nouveaux arrivants aux fouilles. Deux hommes étaient à genoux dans le puits peu profond où ils raclaient la poussière avec des déplantoirs de jardin. Austin les reconnut. Il s’agissait de deux anciens SEAL[22] de la marine qui avaient été rattachés à la NUMA au cours de précédentes missions. Sandecker ne laissait rien au hasard. Ces deux hommes étaient les meilleurs de la division de protection de l’Agence. Le plus grand, qu’Austin connaissait seulement sous le nom de Ned, avait les épaules larges et la taille fine des habitués du body-building. Le déplantoir avait l’air d’un cure-dents entre ses mains. Cari, son compagnon, était plus petit, mais plus nerveux. Cependant Austin savait par expérience qu’il était le plus dangereux des deux.
— Ça avance ? demanda Nina.
— Pas mal, dit Ned en riant, mais personne ne nous a dit ce qu’on devait faire si on trouvait vraiment quelque chose.
— Je lui ai conseillé de l’enterrer de nouveau, dit laconiquement Cari.
— C’est peut-être une bonne idée, dit Austin. Cela vaut mieux que d’expliquer ce que deux plongeurs de la NUMA fabriquent au milieu du désert d’Arizona. Est-ce que des étrangers se sont pointés aujourd’hui ? ajouta-t-il en repensant à ce que Nina lui avait raconté de l’incident marocain.
Trout et les deux hommes échangèrent un regard et éclatèrent de rire.
— Si vous parlez de gens bizarres, nous en avons eu plus que notre lot. C’est fou le genre de cinglés qu’attiré un projet comme celui-ci.
— Je me demande si tu n’es pas injuste, dit Cari. Un type a suggéré que je cherche des traces de rapports entre les OVNI et l’Atlantide. Ses arguments m’ont paru très sensés quand j’ai fini de parler avec lui.
— Au moins aussi sensés que toute cette opération, dit Austin avec un sourire désabusé. Personne d’autre ?
— Deux personnes avec des appareils photo et des calepins, dit Trout. Ils ont affirmé être des reporters de la T.V. et de la presse.
— Avaient-ils des papiers d’identité ?
— Nous ne leur avons pas demandé. Ça m’a paru une perte de temps. Si ces types sont aussi organisés que nous le croyons, ils auront de faux papiers. Nous avons vu un tas de promeneurs et de volontaires. Nous leur avons expliqué que nous faisions juste des recherches préliminaires, nous avons pris leurs noms et promis de les contacter au besoin. Chacun a été filmé par la caméra de surveillance cachée en haut de ce cactus.
Austin repensait à la bataille à bord du Nereus, où ils avaient dû repousser le groupe d’attaquants bien armés. Ils avaient eu pour eux l’élément de surprise et beaucoup de chance. Mais les cicatrices que Zavala et lui portaient témoignaient que les événements auraient pu très mal tourner. Même ces rudes ersatz de fouilleurs de tombes seraient vite mis à mal par une attaque en force.
— Qu’avons-nous comme soutien ? demanda-t-il.
— Six hommes dans cette vieille station-service juste avant le tournant, dit Ned. Ils peuvent être là en moins de cinq minutes après avoir reçu le signal. Nous les avons chronométrés. (Il toucha l’émetteur à sa ceinture.) Je presse un bouton et ils se mettent en route.
Austin regarda l’environnement puis fouilla du regard les montagnes au loin. Curieusement, pour un homme de la mer, il se sentait toujours chez lui dans le désert. Il trouvait des ressemblances entre les deux, la vue à l’infini, les possibles changements violents du temps et l’impitoyable hostilité envers la vie humaine.
— Qu’en penses-tu, Joe ? De quel côté viendrais-tu si tu voulais attaquer ? Zavala, qui avait déjà réfléchi à la question, répondit sans hésiter.
— La route par laquelle nous sommes venus offre l’accès le plus facile, de sorte que la ligne d’attaque la plus évidente est celle du désert. D’un autre côté, ils pourraient souhaiter que nous pensions au désert, auquel cas ils pourraient venir par la route. Cela dépend de leur moyen de transport. Je n’ai pas oublié qu’ils ont utilisé un hovercraft au Maroc.
— Moi non plus. Mais un hovercraft peut être difficile à cacher dans le désert.
— Les apparences peuvent être trompeuses. Je suis allé reconnaître le terrain autour du ranch. Il y a plus de rides de sable qu’à Sun City. Des arroyos[23], des vagues de sable, des cuvettes naturelles.
On ne peut sûrement pas y cacher une armée, mais une équipe de choc assez importante pour rendre la vie intéressante, si.
— Intéressante et courte, dit Austin. Alors, parions pour le désert. Est-ce que les gars qui sont à la station-service ont prévu des contrôles sur la route, la nuit ? Et est-ce que quelqu’un les soutient ?
— Oui, oui, dit Ned en hochant la tête. Un hélico et une douzaine d’autres hommes armés jusqu’aux dents campent dans une cuvette à cinq bornes d’ici. Cinq minutes de temps d’arrivée estimé pour eux aussi.
« Cinq minutes, ça peut être long » pensa Austin, mais, dans l’ensemble, ces arrangements le rassuraient. Il regarda dans la direction où travaillait le couple de Spokane.
— Et nos gens de chez Time-Quest ? Trout gloussa.
— S’ils sont des assassins, c’est le meilleur déguisement que j’aie jamais vu. Nous avons vérifié, ils sont authentiques.
— Je ne pensais pas à ça, dit Austin. Il faut un plan pour les protéger si et quand les ennuis commencent.
— Pas de problème, répondit Trout. Ils habitent dans un motel discret, plus loin sur la route. Austin se tourna vers Nina.
— Pourrai-je vous persuader de prendre vous aussi une chambre dans un motel ?
— Non, répondit-elle catégoriquement.
— Je ne sais pas pourquoi, mais votre réponse ne m’étonne pas. Si vous insistez pour rester, je veux que vous restiez près de Joe et moi. Et que vous fassiez exactement ce qu’on vous dira de faire. Maintenant, où est cette statue incroyable qui est supposée provoquer l’attaque ?
— Nous l’avons mise dans le « caveau », dit-elle en souriant.
Ned et Cari retournèrent à leur travail et Nina les conduisit à un abri métallique qui avait été édifié près d’un des RV. Elle ouvrit la porte cadenassée avec une clef qu’elle portait à la ceinture. Il n’y avait pas d’électricité aussi allumèrent-ils une lampe de camping. On avait disposé deux chevalets avec de grosses planches croisées. Sur les planches reposait un objet recouvert d’une grande toile de peintre.
— C’est incroyable, dit Trout, ce que la science moderne peut faire pour vieillir n’importe quoi. Les gars du labo de la NUMA ont concocté une couche de caliche qui n’aurait pu s’accumuler normalement qu’en plusieurs centaines d’années.
II fit une pause un peu théâtrale puis enleva la bâche.
— Voilà !
Austin et Zavala regardèrent un moment, ébahis, l’objet qu’éclairait la lampe à gaz, puis s’approchèrent pour mieux le voir. Austin avança une main pour toucher la surface de bronze.
— Est-ce que c’est ce que je crois que c’est ? demanda-t-il. Trout se racla la gorge.
— Je pense que ses créateurs ont utilisé le terme de licence artistique. Qu’en dites-vous ? Le visage d’Austin s’éclaira d’un grand sourire.
— J’en dis que c’est parfait !